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Date: 12/12/2016
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A l’occasion de la conférence ‘’Communs et Développement’’ organisée début décembre par l’Agence Française de Développement, Jean-Michel Severino s’exprime sur la question des biens communs sur le blog Secteur Privé et Développement.

Si la réflexion autour des biens communs reste influencée par une vision binaire du monde, partagée entre les acteurs à but lucratif (entreprises, banques, fonds d’investissement), qui ne seraient à la recherche que de la maximisation de leur profit, et les autres (Etats, collectivités locales, ONG, fondations…), qui ne rechercheraient que l’intérêt collectif, Jean-Michel Severino souligne que de nombreuses causes d’intérêt général sont prises en charges par des initiatives privées.

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L’interview

 

Dans quelle mesure le concept des communs permet-il de pallier à certaines limites de l’administration publique des biens?

Le concept des communs permet surtout de sortir de la dichotomie entre biens publics et privés, selon laquelle on aurait d’un côté les acteurs publics – fonctionnaires et hommes politiques qui incarneraient l’intérêt général – et de l’autre des opérateurs privés voués à des activités exclusivement lucratives. Or, dans les faits, les deux sphères sont enchevêtrées. Tout acteur et toute action génère des externalités, c’est-à-dire des effets non souhaités, positifs ou négatifs, qui ont des impacts aussi bien sur la sphère publique que privée. Une entreprise, quand elle forme des gens, ne leur permet pas seulement d’accéder à un savoir (qui relève plus de la sphère publique en France). Elle le transmet aussi indirectement à leurs descendants par le biais du capital social. On peut là parler d’externalité positive. Inversement, une entreprise peut fabriquer un très bon produit, mais si elle pollue et détruit la santé de ses salariés, elle a une externalité négative (sur un domaine, la santé, qui relève là encore des politiques publiques).

Beaucoup d’entreprises sont conscientes de la nature des externalités liées à leurs missions comme à la manière de les conduire. C’est en particulier, mais évidemment pas uniquement, le cas des très grandes entreprises multinationales. Leur sensibilité à ces questions a été démultipliée durant les trente dernières années. Lorsque le groupe Danone met en place un grand fonds d’investissement (le Fonds Livelihoods) destiné à traiter des ressources naturelles et de la biodiversité avec d’autres grandes entreprises comme Unilever et Schneider, il le fait pour deux grandes raisons : d’une part, parce que ces questions ont un impact sur sa propre chaîne de production agroalimentaire ; d’autre part, parce qu’il considère que l’action publique internationale ne s’empare pas suffisamment de ces sujets. Ce groupe d’entreprises se trouve donc poussé à agir pour pallier à une déficience publique.

 

Qu’apporte l’idée d’externalité dans la réflexion sur les communs ?

Le concept de commun est lui-même assez générique. Il porte sur tout ce que nous partageons, en bien ou en mal. Prenons un cas très concret : si vous produisez des bonbons dans un pays en développement à partir de sucres importés, vous allez créer de l’emploi formel et donner à vos salariés un statut qui va leur donner accès à une fiche de paie, donc à du crédit pour se loger. Il s’agit d’une externalité positive importante. En même temps, votre entreprise va créer des problèmes de diabète et contribuer à la dégradation de la balance commerciale du pays, en important du sucre. De plus en plus, ces impacts vont être mesurés par des méthodes fiables de calcul, relevant des méthodologies connues de la politique économique.

L’approche en termes d’externalités peut permettre aux entreprises d’avoir une vision moins partielle et court-termiste de leurs impacts, mais plus globale et surtout plus durable. Cette approche nous renvoie ainsi à une appréhension plus éthique de l’économie où la responsabilité de chacun et de chaque entreprise est convoquée, évoquant ainsi un monde plus ouvert, plus constructif, plus participatif, plus généreux et plus efficace. Un monde où le développement sera le produit de l’optimisation des externalités nettes générées par chaque activité et dont le moteur peut se trouver aussi bien dans l’intérêt bien compris de chacun comme dans des motivations d’altruisme dont chacun peut être dépositaire.

 

Des PDG de grandes entreprises comme Safaricom, au Kenya, disent ne pas rechercher le profit mais vouloir transformer la vie de leurs clients. Le secteur privé doit-il prendre en charge des missions de service public ?

Tel a déjà été le cas partout, y compris sur nos marchés européens. On ne peut pas faire l’histoire de la protection sociale en France sans examiner l’implication des industriels dans le logement et l’assurance maladie. Nos systèmes publics ont couronné un siècle d’évolutions largement entamées par le patronat, en raison de revendications ouvrières et faute de services publics, pour faire face à l’absentéisme des ouvriers. La santé des salariés reste un sujet corporate à court terme, un sujet de compte d’exploitation crucial.

Ces actions relèvent de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), et l’on peut toujours soupçonner une entreprise de faire du social washing comme certaines font du green washing. Il n’empêche : beaucoup d’entreprises dépendent des ressources naturelles et elles sont de plus en plus nombreuses à réaliser que leur survie à long terme dépend de leur bonne gestion. Elles cherchent ainsi à influer sur les politiques publiques, ou se livrent à des activités ayant un impact sur la gestion de ces ressources.

 

Le secteur privé peut ainsi être un moteur du « faire commun » selon vous. Qu’est-ce que cela implique pour les acteurs du développement ?

Cela invite à chercher des partenariats nouveaux et innovants, dans l’objectif d’utiliser les entreprises (leurs réseaux, leurs savoir-faire…) pour atteindre des objectifs de politique publique. En partenariat avec l’UNESCO, la fondation L’Oréal, fabriquant de cosmétiques, a ainsi exploité l’une de ses externalités positives les plus importantes – le dialogue dans les salons de coiffure – pour engager une action  très efficace en matière  de lutte contre le Sida, en fournissant des kits de formation aux coiffeurs pour propager une bonne compréhension de l’endémie et parler des bons comportements sexuels. L’image de L’Oréal s’en trouve renforcée aux yeux de toute une série d’acteurs. Et la lutte contre le Sida progresse. N’oublions pas qu’une entreprise, ce sont des clients, des fournisseurs et des salariés – soit énormément de monde pour une grande entreprise, qui peut utiliser ce lien, ce réseau pour vendre ou promouvoir des solutions d’intérêt général.

Au final, sans verser dans l’angélisme et en prenant soin d’examiner les situations au cas par cas, une activité économique privée peut très bien faire d’une entreprise ou d’un réseau d’entreprises le gardien d’un commun.

 

A propos

Idées pour le Développement (iD4D) est un blog animé par l’Agence Française de Développement mais ouvert à tous, afin de promouvoir le débat d’idées sur les questions de développement.

http://ideas4development.org/