Portrait entrepreneur : Rencontre avec Kancou Keita Cissé, Directrice Générale de Mali Shi
Submitted by admin on Mon, 07/07/2025 - 11:30
“C’est parce que c’est difficile qu’il faut le faire, car l’impact est d’autant plus important. Nous avons créé Mali Shi avec l’idée de bâtir une entreprise rentable, durable, et porteuse d’impact. Et je pense sincèrement que c’est possible ici, au Mali, comme dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest !”
I&P est allé à la rencontre de Kancou Keita Cissé, Directrice Générale de Mali Shi, première unité industrielle de transformation du karité au Mali. Leur ambition : structurer une filière, autonomiser des milliers de femmes collectrices, créer de la valeur localement et surtout, prouver que l’on peut concilier performance économique et impact social dans un contexte jugé trop risqué.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre parcours ?
J’ai principalement travaillé en cabinet d’expertise-comptable avant de débuter mon parcours entrepreneurial. Je suis née et j’ai grandi au Mali, et après le bac je suis partie étudier à Paris, à l’université Paris Dauphine, où j’ai obtenu un Master en comptabilité, contrôle et audit. J’ai ensuite débuté ma carrière chez PwC, avant de rentrer au Mali en 2011 pour intégrer le cabinet S.E.C Diarra, premier cabinet d’expertise comptable du Mali où j’ai également obtenu mon diplôme d’expertise comptable. J’ai longtemps été de ceux qui conseillent, qui accompagnent les entrepreneurs avant de passer de l’autre côté. En 2016 très exactement, au moment de rejoindre le groupe Omnium en tant que Directrice Financière. Et c’est dans ce cadre que j’ai contribué à la création de Mali Shi.
Le groupe Omnium, historiquement actif dans l’industrie (notamment la fabrication de piles), souhaitait se diversifier mais en créant de la valeur à partir de matières premières locales. On importait des matières premières pour pouvoir les transformer localement, il était important pour nous à ce moment-là de faire l’inverse, de valoriser les produits du Mali. Une étude sur plusieurs filières agricoles, qu’on a réalisé avec ClassM, a révélé le fort potentiel du karité, une matière première très présente au Mali mais largement exportée à l’état brut. On avait l’idée, le produit, maintenant il fallait se lancer : la première unité de transformation industrielle d’amandes de karité du Mali est sortie de terre en 2020.
Aujourd’hui, 5 ans après son lancement, comment se développent vos activités ?
Ce n’était sans doute pas les années les plus faciles pour lancer et développer un business. Entre le Covid et la situation politique et économique du Mali, avec les frontières fermées et les financements bloqués, tout était plus compliqué. Mais le contexte a évolué, est redevenu plus favorable. Aujourd’hui, nous comptons 97 salariés permanents et une trentaine de journaliers. Nous avons une capacité de transformation de 100 tonnes d’amandes par jour, soit environ 25 000 tonnes par an.
Pour l’approvisionnement, nous travaillons avec 12 000 femmes collectrices dans les régions de Kayes, Koulikoro, Ségou et Sikasso, regroupées en coopératives. Cette relation a été formalisée et structurée par des contrats formels, ce qui garantit aux collectrices un revenu stable. Nous formons les coopératives aux bonnes pratiques de collecte et de gestion, et nous mettons à leur disposition des équipements — parfois grâce à des partenaires publics ou associatifs, bassines, tricycles pour le transport ou de magasins de stockage.
Notre impact se retrouve à plusieurs autres niveaux, avec la création de valeur à partir de produits locaux, la création d’emplois formels et l’autonomisation des collectrices, l’usine produit aussi des tourteaux de karité qui servent de base à une alimentation animale de meilleure qualité et à bas prix pour les éleveurs de la région, à la fabrication d’engrais organique, mais qui sont également transformés en briquettes de tourteaux de karité à usage domestique. C’est une excellente alternative au bois chauffage et permet de lutter contre la déforestation.
Comment s’est construit votre partenariat avec I&P ?
La rencontre avec I&P s’est faits en deux temps. Une première fois en 2020, mais nous n’étions pas encore totalement alignés. Puis en 2022, avec Landry Parkouda et Sébastien Boyé. I&P est intervenu à un moment critique, après la construction de l’usine, dans un contexte difficile : sortie du Covid, sanctions de la CEDEAO contre le Mali… Peu d’acteurs étaient prêts à investir au Mali, et I&P a pris ce risque. C’est un partenariat exigeant mais enrichissant. I&P est très présent dans la gouvernance, avec un rôle au conseil d’administration, mais aussi dans le suivi opérationnel. Nous avons des échanges fréquents qui nous aident à nous challenger, à prendre du recul, à ajuster notre stratégie.
Pour la petite anecdote, après la due diligence, les négociations, la formalisation des accords, nous attendions un décaissement au mois de septembre 2023. Mais il y a eu des imprévus, des choses à régler. Finalement, nous avons reçus les fonds durant la période de Noël. Un joli cadeau et un soulagement pour tous ceux qui ont travaillé d’arrache-pied sur ce dossier !
Quel regard portez-vous, plus globalement, sur l’entrepreneuriat au Mali ?
C’est un environnement difficile, mais riche en opportunités. Il faut oser, il faut être tenace, mais aussi savoir s’adapter. C’est parce que c’est difficile qu’il faut le faire, car l’impact est d’autant plus important. Nous avons créé Mali Shi avec l’idée de bâtir une entreprise rentable, durable, et porteuse d’impact. Et je pense sincèrement que c’est possible ici, au Mali, comme dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest !