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Date: 03/02/2021

 

Bagoré Bathily s'est lancé en 2004 dans la création de La Laiterie du Berger, une entreprise engagée pour promouvoir le lait local, produit au Sénégal. L'entreprise a été accompagnée dès son démarrage par I&P, qui en était alors aussi à ses débuts.

Le chemin parcouru depuis par La Laiterie est immense : une marque (Dolima) installée, une forte croissance, 500 emplois directs, 900 fournisseurs de lait, des partenariats avec Danone Communities, Grameen Crédit Agricole, la Mastercard Foundation... Fort de cette croissance et de ces impacts, I&P de son côté est sorti de l'entreprise, en grande partie sur le fondateur et un pool de particuliers, principalement Sénégalais, ainsi que sur Danone Communities et la Fondation Grameen Crédit Agricole, partenaires de longue date de la Laiterie.

Retour en vidéo avec Bagoré Bathily sur son parcours, mais aussi les défis d'aujourd'hui : l'impact de la crise Covid, et le rôle de plaidoyer auprès de l’État Sénégalais et de la communauté entrepreneuriale, comme en témoigne la récente participation de Bagoré au livre "Bâtisseurs d'Afrique", qui revient sur 11 parcours entrepreneurs africains accompagnés par I&P.

 

 

Pouvez-vous revenir en quelques mots sur votre parcours, et la rencontre avec I&P ?

Je suis vétérinaire de formation, j’ai fait mes études en Belgique. Quand je suis rentré au Sénégal, où j’ai grandi, j’ai eu mon bac, etc., il n’y avait pas vraiment d’opportunités d’emploi pour moi. De par mon métier, j’étais confronté à des problèmes structurels dans l’élevage. Le fait que les éleveurs ne vendent pas leur production et donc sont maintenus dans une situation de précarité. Ça m’a donné l’intuition de créer une laiterie qui achèterait le lait des éleveurs et qui permettrait de fabriquer des produits finis qui se différencieraient, parce qu’au Sénégal tous les produits laitiers sont faits à partir de poudre. Du lait à partir de produit frais local, ça fera une différence que les consommateurs apprécieront. Et puis à partir de là, une pompe sera enclenchée. C’était vraiment une idée idéaliste !

Il nous manquait cependant une vision financière. On avait un bon projet opérationnel, mais on ne voyait pas très bien comment on allait le financer. La culture des business plan, de l’apport en capital, les banques… on ne connaissait pas bien ce monde-là.

On a eu de la chance de rencontrer I&P, quasiment au moment où I&P se mettait en place, en 2004.  Ça ne leur faisait pas peur d’avoir un vétérinaire qui ne savait pas lire un bilan. Il fallait se lancer, on était tous des pionniers. I&P nous a apporté la relecture de notre projet avec un angle financier : qu’est-ce qu’il fallait pour le structurer, quels étaient les risques, etc.

 

Comment a évolué La Laiterie du Berger ? Où en est l'entreprise aujourd'hui ?

On a démarré le projet de manière opérationnelle en 2007. On a fait 250 millions de chiffres d’affaires FCFA cette même année, ce qui était remarquable. Déjà La Laiterie attirait pas mal l’attention. C’était un projet industriel, par des jeunes, avec un fonds d’investissement. C’était quelque chose de vraiment pionnier pour l’époque.

L’afflux d’intérêt pour les projets type du nôtre nous a permis de faire entrer Danone et la Fondation Grameen Crédit Agricole. Danone a permis de renforcer La Laiterie, en aval sur la partie industrielle, mais aussi en amont sur la collecte auprès des éleveurs.

Cette année, en 2020, on clôture avec environ 9 milliards FCFA de chiffres d’affaires : on voit toute la différence depuis 2007, une histoire de croissance incroyable, et un résultat très positif. Mais derrière ces chiffres, il y a une énorme réussite en termes d’accès au marché. La marque Dolima est devenue l’une des plus fortes de sa catégorie au Sénégal. 90% des sénégalais la citent quand on leur demande de citer un yaourt. C’est une énorme réussite.

Sur la partie des impacts, nous sommes aussi depuis l’origine très proches de la trajectoire d’I&P. Il y avait cette intuition que les métiers de cœur étaient fondamentaux, et en même temps il faut suivre très rigoureusement notre impact, parce que les deux ne sont pas naturellement liés. On est 500 employés environ aujourd'hui. 500 emplois directs, c'est vraiment significatif, et on sait tout l’impact que ça sur les personnes concernées, et sur le pays. On a en plus une sous-gestion de 2500 emplois, parce qu’il y a notamment tous les éleveurs. La Laiterie travaille avec 900 fournisseurs de lait à fin 2020.

Chez les éleveurs on ne fait pas qu’acheter du lait. On leur donne tout un tas de services et d’accès à des facteurs de production pour qu’ils produisent mieux, et qu’ils gagnent mieux leur vie par la vente de lait. On a toute une trajectoire qui part de l’existant traditionnel pour les amener à un niveau effectivement professionnel, à tout point de vue : gagner de l’argent, avoir accès aux crédits, avoir accès à la connaissance, avoir des alternatives pour les générations suivantes. Les enfants vont à l’école, donc ils pourront devenir éleveurs, ou devenir autre chose.

 

Quel a été l'impact de la crise Covid-19 sur l'entreprise ? Sur l'écosystème sénégalais plus généralement ?

Le Covid-19, c’est une énorme gifle, une énorme crise. Nous avons cette chance à La Laiterie d'être une société qui vend des aliments, et des aliments de base (le yaourt au Sénégal est vraiment considéré comme un aliment de base). Donc à côte de secteurs comme le tourisme ou le transport, nous n'avons pas été affecté… dans notre chiffre d’affaires.

Nous avons en revanche été complètement affecté dans nos opérations. Une entreprise qui voit tous les jours, matin et soir, 900 éleveurs, et qui voit tous les jours, des milliers de points de vente, le tout revenant dans un même site industriel... on était vraiment un site où le risque de cas Covid était important. D’où la nécessité de mettre en place des mesures hygiéniques exemplaires.

D’abord on a pu faire du gel hydroalcoolique, et devenir le plus grand fabricant de gel hydroalcoolique du pays. Pour un industriel, ce n’est pas si compliqué. Nous avons reçu le soutien de la Fondation Mastercard pour distribuer le gel non seulement aux éleveurs, mais à l’écosystème élargi, les boutiquiers, etc.

En construisant des PME, on construit des choses inattendues. Une laiterie, ce n’est pas censé relever le niveau d’hygiène dans tout un écosystème comme ça. Ce genre d’externalités ne sont possibles qu'avec des entreprises structurées, avec le type d’entreprises construites par I&P. C’est plus difficile avec l’informel. Il n’y a rien pour les accompagner. En cas de crise, ils sont vraiment des laissés pour compte : ils ne sont pas représentés, ils ne peuvent pas se regrouper pour parler de leurs problèmes, ils n’ont pas accès à de la formation, etc. En phase de crise, c’est le chaos.

Globalement, la résilience de nos systèmes économiques est vraiment plus forte quand on a un maillage d’entreprises structurées. Pour moi, c’est vraiment la vision de départ d’I&P. Il faut mailler, augmenter le tissu de PME formelles de certaine taille, ce qui accélèrera le développement de nos pays. Ça parait tellement évident face à une crise comme celle de la Covid-19.

 

"En construisant des PME, on construit des choses inattendues. La résilience des écosystèmes est vraiment plus forte quand on a un maillage d'entreprises structurées. C'est la vision de départ d'I&P, que je partage pleinement : il faut mailler le tissu de PME formelles de certaine taille, qui seront essentielles au développement des pays Africains. C'est tellement évident face à une crise comme le Covid 19."

 

Un mot sur vos activiés de plaidoyer, auprès du gouvernement Sénégalais comme des réseaux entrepreneuriaux ?

C’est assez unique d’avoir une entreprise qui veut mettre en place une filière, c’est le cas de la Laiterie, et qui par définition est un observatoire. Ça nous a permis d’engager sérieusement une discussion avec le gouvernement sur la nécessité de revoir les taxes sur certains produits laitiers. C'est un vrai enjeu : le lait local est plus cher que le lait en poudre, donc les industriels n’achètent pas le lait local. Ça maintient un statut quo dans lequel les éleveurs ne sont pas associés à la réussite de l’expansion de la consommation des produits laitiers.

C’était une des mesures qu’il fallait prendre... on a réussi grâce à la confiance que le gouvernement a en nous, et les chiffres d’impact qu’on a su mettre en avant, sur la création d’emplois en amont, l’enrichissement des éleveurs, le fait qu’ils commencent à faire du crédit, etc.

Pour l’entrepreneuriat c’est la même chose. Identifier des entrepreneurs, les motiver, les mettre dans une trajectoire où ils voient d’autres entrepreneurs, se disent « ça, c’est possible », peuvent échanger sur les défis habituels des entrepreneurs : des questions de choix, de réussite, de famille, de patience, etc. Finalement tous les entrepreneurs quelque part se ressemblent, et toutes les trajectoires, que l’entreprise soit une laiterie, une start-up informatique, ou une fin-tech, se ressemblent.

Le livre qui a été réalisé en partenariat avec I&P, qui met en avant les parcours de 10 entrepreneurs, c’est une façon de rentrer dans cette intimité. Qui sont-ils, quels sont leurs parcours ? C’est sûr que ça va inspirer d’autres personnes. Personnellement j’ai été inspiré par des personnes comparables, et je suis convaincu que c’est une bonne pratique. Je suis vraiment un adepte de mettre en avant ces éléments, parce que c’est utile, ça alimente des bons canaux d’énergie. Et Dieu sait qu’il y a en a d’autres qu’il faut plutôt essayer de tarir...

 

Finalement tous les entrepreneurs quelque part se ressemblent, et toutes les trajectoires, que l’entreprise soit une laiterie, une start-up informatique, ou une fin-tech, se ressemblent.

 


Pour aller plus loin : à la découverte du livre Bâtisseurs d'Afrique

Issu de la collaboration entre le groupe Investisseurs & Partenaires (I&P) et l’auteure Nathalie Madeline, le livre Bâtisseurs d’Afrique retrace les parcours de onze entrepreneurs africains.

Né(e)s à Madagascar, au Sénégal, au Mali, en Mauritanie… ou en France, ils et elles se sont lancé(e)s sans complexe dans l’aventure entrepreneuriale, dans les domaines de l’agrobusiness, de la santé, de l’énergie ou de l’immobilier, avec comme objectifs de rendre accessibles à tous des biens et services essentiels et de servir la communauté.

On retrouve ainsi, aux côtés de Bagoré Bathiliy, dix autres entrepreneur.e.s accompagné.e.s par I&P, comme Sidi Khalifou, entrepreneur mauritanien engagé pour l’accès aux services d’eau et d’électricité en zones rurales, Folly Koussawo, qui retourne s’installer au Gabon pour lancer son entreprise de BTP, ou encore Khadidiatou Nakoulima, qui fonde un réseau médical innovant dédié à la femme et l’enfant au Sénégal.

Cliquez ici pour découvrir le livre sur le site d'Eyrolles

 

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